Cette étude a été réalisée par Jean-Baptiste BARSI, avocat au barreau de Paris et Grégoire PROUST, expert-comptable et commissaire aux comptes, Cabinet Impulsa Paris.
I. L’article 61 septies de la loi créant les articles L.210-10 à L. 210-12 du Code de Commerce intègre en droit français la notion de « Société à Mission » donnant la possibilité à toute société de faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions visées audit article sont remplies.
Nous comprenons donc que les sociétés candidates à obtenir ce label de « société à mission » qui figurera sur son K-bis et tous ses supports de communication devront se soumettre aux obligations visées ci-dessus au risque de le perdre en cas d’avis négatif de l’organisme indépendant et saisine subséquente du Président du tribunal de commerce.
Un soin tout particulier devra être attaché à la rédaction de cette « raison d’être » et cette « mission » qui devront être en mesure de s’adapter à l’évolution de l’entreprise notamment en terme de croissance externe ou de réorganisation de ses activités.
Nous pouvons imaginer que les missions seront d’ordre très général et d’intérêt collectif : protection de l’environnement, dynamisation d’une collectivité locale, mise en valeur ou préservation d’un savoir-faire... Mais nous nous interrogeons sur la manière dont les tribunaux interpréteront le respect ou non de cette mission dans les sociétés faisant l’objet d’une acquisition ou d’une cession de filiale ou de fonds de commerce dont l’objet ne rentrerait pas dans la mission.
Par exemple une société ayant pour mission la préservation de l’environnement pourra elle acquérir une nouvelle activité polluante ? Et la réponse diffèrera elle selon que cette activité sera intégrée dans la société ou filialisée ? On sait que par exemple dans le secteur de l’énergie un grand nombre d’acteurs évoluent tout à la fois dans les énergies fossiles et les énergies renouvelables, suffira-il de séparer juridiquement ces activités pour que le label soit préservé ? A priori oui puisque la mission telle que visée par la loi est liée à la société et non au groupe.
Par ailleurs, à l’issue d’une cession d’entreprise, les nouveaux actionnaires qui ne se reconnaitraient pas dans la mission stipulée dans les status pourront ils la modifier sans perdre le label de « société à mission » ?
Le régime de changement de la mission de l’entreprise sera-il calqué sur celui d’un changement d’objet social ?
Seule la pratique permettra aux praticiens de répondre à ces questions et d’adapter en conséquence les termes de la « mission » et de la « raison d’être » de la Société.
Le nouveau statut juridique de société de mission pourrait avoir des conséquences comptables et fiscales qui sont encore inconnues à ce jour. En effet, la création d’une quatrième voie aux côtés des sociétés privées de capitaux, des entreprises publiques et des entreprises de l’économie sociale et solidaire pourrait entraîner des traitements comptables et fiscaux spécifiques (comme pour les banques, les associations ou les établissements publics). Cela représenterait probablement une contrainte pour les sociétés concernées mais assurément un vivier de missions pour nos professions.
II. Un autre sujet, qui a fait historiquement l’objet de débats au sein de la profession comptable, a été relancé par l’article 10 bis de la loi PACTE : les « success fees ». Les experts-comptables ont dorénavant la faculté de facturer "des honoraires complémentaires aux honoraires de diligence, liés à la réalisation d’un objectif préalablement déterminé". Cette modalité de facturation est toutefois encadrée et un expert-comptable ne pourra pas demander à être payé au résultat pour ses missions comptables courantes ainsi que pour celles consistant à calculer les bases d’impositions fiscales ou sociales de ses clients (ce qui ne nous semble pas critiquable).
Deux questions viennent directement à l’esprit à la lecture de la loi :
- Quelle mission pourra faire l’objet d’une facturation à succès ?
- Quelles modalités de calcul des success fees ?
A notre avis, ces honoraires de succès concerneront principalement les missions exceptionnelles de l’expert-comptable dans le cadre de recherche de financement (levées de fonds, dettes) ou dans le cadre de mission d’accompagnement pour des acquisitions ou des cessions d’entreprises.
Les success fees seront calculés classiquement de deux manières : fixe (forfait en cas d’atteinte d’un objectif fixé) ou variable (assiette x un taux).
La profession comptable évolue et il est intéressant de constater que ces pratiques en terme d’honoraires rejoignent d’autres professions (avocat, conseils opérationnels et stratégiques) : un pas de plus vers l’interprofessionalité ?
Cette disposition parait une bonne opportunité pour les experts-comptables qui souhaitent proposer des missions d’intermédiaire en fusions-acquisitions ou levées de fonds, la connaissance de leur client et leur capacité à monter de dossier financier de présentation de la Société leur donnera un solide atout. On peut s’interroger si cette disposition leur permettra de se rémunérer comme intermédiaire dans le cadre d’une transaction immobilière, comme peuvent le faire les avocats ?
III. Depuis le 1er janvier 2019, les vendeurs qui cèdent leur entreprise avec un « crédit-vendeur » bénéficient d’un plan d’étalement des prélèvements sur les plus-values pour les petites entreprises de moins de 50 salariés réalisant un total de bilan ou un CA inférieur à 10 M€.
Ce Plan d’étalement de paiement de la plus-value correspondant à la réalité du calendrier de paiement du prix de cession était auparavant réservé aux micro-entreprises. Cet élargissement d’une mesure fiscale déjà existante sans être révolutionnaire, ne peut être que bénéfique aux reprises d’entreprises.
Je partage le point de vue de Jean-Baptiste sur ce sujet et cette démarche consistant à aligner la fiscalité sur une approche « cash basis » nous semble plus juste même si elle ne facilitera pas la tâche des professionnels du droit et du chiffre compte tenu du suivi dans le temps de l’opération. Une vigilance accrue sera nécessaire.
IV. La loi encourage la transmission d’entreprise aux salariés en supprimant Les contraintes de seuil minimum de
salariés pour bénéficier du crédit d’impôt pour le rachat des entreprises par les salariés. Pour mémoire, ledit crédit d’impôt est égal au montant de l’impôt sur les sociétés dû par la société reprise au titre de l’exercice précédent. La loi met en place un dispositif anti-abus avec un minimum de 18 mois de présence du salarié dans l’entreprise requis.
Il s’agit d’une nouvelle tentative d’aider les salariés à reprendre l’entreprise de leur employeur qui sont en pratique assez rares et dont les précédents dispositifs (crédit d’impôt pour le rachat des entreprises, loi Hamon ...) n’ont pas eu le succès espéré. Le quantum du crédit d'impôt égal au montant du précédant impôt sur les sociétés dû par l'entreprise reprise, et plafonné par le montant des intérêts du prêt contracté par la structure de reprise restent limités au regard des taux d’intérêts actuels, mais le nouveau dispositif peut désormais être exercé par un seul salarié présent dans la Société depuis au moins 18 mois.
Je ne suis pas sûr que ce dispositif soit de nature à changer la donne. Aujourd’hui, l’engouement des salariés ou managers pour la reprise de société n’est plus à démonter. Le vrai point de blocage, que nous rencontrons sur le terrain, réside dans l’obtention des financements bancaires. Une incitation des banques à assouplir leurs critères de financement de projets portés par des salariés eut été une meilleure solution à notre avis.